Le Tibet, encore
Editorial du Le Monde, 21.02.2010
Le président américain a reçu le dalaï-lama, jeudi 18 février, à Washington. La Chine a protesté le lendemain. Elle a assuré que cette première rencontre entre le chef spirituel des Tibétains et Barack Obama ne manquerait pas de porter "gravement préjudice" aux relations entre la Chine et les Etats-Unis.
A priori, rien de très grave. Les relations entre ces deux puissances sont si importantes, leurs intérêts si interdépendants, qu'elles ne sauraient être durablement affectées par la visite que le dalaï-lama a faite à la Maison Blanche. Il y a beau temps que les présidents américains reçoivent régulièrement ce chef bouddhiste aussi sage que réfléchi. Et, à chaque fois, cela suscite l'ire des dirigeants chinois. Mais il était particulièrement important que M. Obama reçoive cette année, en ce moment précis, le dalaï-lama. Pourquoi ?
Parce que le traitement réservé à cet homme en Europe et aux Etats-Unis est un marqueur de l'attachement que les Occidentaux éprouvent encore à l'égard des droits de l'homme. Or, en la matière, la Chine flirte avec la provocation. Qu'il s'agisse de l'exécution d'un arriéré mental britannique, il y a quelques semaines, piégé par des trafiquants de drogue ; qu'il s'agisse des attaques de hackers chinois contre les sites des défenseurs des libertés publiques ; qu'il s'agisse du traitement réservé à quelques-uns des dissidents les plus légalistes, Pékin paraît n'avoir qu'un message à adresser à l'extérieur : pas d'ingérence dans ses affaires intérieures.
Le dalaï-lama ne remet pas en cause la souveraineté chinoise sur le Tibet. Il réclame plus d'autonomie pour cette région. Il revendique plus de respect pour les droits culturels des Tibétains - leur langue, leurs pratiques religieuses. Il le fait en prônant la non-violence. Où est donc le crime de l'homme à la tunique safran que la propagande chinoise continue à présenter comme un chef de clique malfaisant ? Il pointe du doigt la situation au Tibet : nul doute que la Chine y a apporté un incontestable développement économique ; mais nul doute non plus qu'elle cherche à submerger la région sous une vague de peuplement han - l'ethnie majoritaire en Chine -, destinée à faire des Tibétains une minorité chez eux.
La Chine manifeste un remarquable dynamisme. Elle compte plus que jamais. Mais, trop sûre de son importance économique pour le reste du monde, serait-elle en proie ces jours-ci à une crise d'hubris, cette bouffée d'orgueil qui affecte les forts ? Il fallait lui signaler que tout ne sera pas sacrifié sur l'autel des relations économiques.
Article paru dans l'édition du 21.02.10
Sur le même sujet
Le dalaï lama, devant la Maison Blanche, le 18 février 2010.
Les faits Pékin proteste contre la rencontre entre Obama et le dalaï lama
Les faits Barack Obama a reçu le dalaï lama et lui a manifesté son soutien
Zoom Le porte-avions américain "Nimitz" autorisé à faire escale à Hongkong
Les faits Le dalaï-lama pris dans le "grand marchandage" entre Pékin et Washington
Les faits Pékin exhorte Washington d'annuler l'entrevue d'Obama avec le dalaï lama
Edition abonnés Thématique : Chine-Etats-Unis : des relations aux différends persistants
No comments:
Post a Comment
Comments are useful, provided that they refer exactly to the subject of the post, and present some relevant argument.
Comentários são bem-vindos, desde que relativos ao tema do post e apresentando argumentos substantivos.